La République Démocratique du Congo traverse une période de violence inquiétante qui rappelle les sombres épisodes des guerres du Congo. Le groupe rebelle M23, soutenu par le Rwanda selon l’ONU, a récemment capturé les villes stratégiques de Goma et Bukavu, laissant derrière lui un sillage de destruction. Dans plusieurs régions, les communautés se préparent à la guerre ou fuient leurs foyers à la recherche de sécurité. L’avancée des rebelles vers Walikale, hub minier majeur, suscite de vives inquiétudes alors que la présence militaire ougandaise s’intensifie à la frontière dans la province d’Ituri.
Pour de nombreux observateurs, la présence croissante de soldats rwandais et ougandais en RDC évoque douloureusement la Deuxième Guerre du Congo, un conflit qui avait entraîné environ cinq millions de morts et un pillage massif des ressources minérales du pays. Cette reprise des hostilités, avec des acteurs similaires mais dans des configurations légèrement différentes, fait craindre une nouvelle guerre régionale si la situation n’est pas maîtrisée rapidement.
Les racines profondes d’un conflit persistant
La RDC est plongée dans un conflit de basse intensité depuis plus de trois décennies. Durant cette période, plus de six millions de personnes ont perdu la vie et des millions d’autres ont été déplacées. Les causes de cette violence chronique sont multiples et complexes, mêlant griefs rwandais concernant la présence de rebelles anti-Rwanda ayant fui après le génocide des Hutus contre les Tutsis en 1994, tensions ethniques entre les Tutsis congolais et leurs voisins, convoitise des ressources minérales dans l’est instable du pays, et corruption endémique au sein du gouvernement congolais.
Les invasions rwandaises de la RDC ont déclenché la Première et la Seconde Guerre du Congo (1996-1997 et 1998-2003), Kigali affirmant poursuivre les génocidaires hutus qui avaient fui de l’autre côté de la frontière. L’Ouganda, où le président rwandais Paul Kagame et ses troupes s’étaient entraînés avant de prendre le pouvoir à Kigali, s’est rangé du côté du Rwanda en RDC. Les deux pays ont ensuite soutenu un groupe rebelle congolais, dirigé par Laurent Kabila, pour renverser le dictateur, le président Mobutu Sese Seko.
Un cycle de violence et d’ingérence étrangère
Lorsque Kabila, après avoir pris le pouvoir en 1997, a changé de camp et ordonné aux troupes rwandaises et ougandaises de quitter la RDC dans un délai d’un jour, Kigali a cherché à se venger. En 1998, le Rwanda et l’Ouganda ont de nouveau envahi le pays, soutenant une milice tutsie qui a occupé des régions riches en ressources dans l’est de la RDC. Kabila a réussi à rallier d’autres nations africaines à sa cause, notamment la Namibie, le Zimbabwe, le Soudan, le Tchad et l’Angola. Les Nations Unies ont déployé une force de maintien de la paix, la MONUSCO.
Pays | Rôle dans le conflit actuel | Position |
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Rwanda | Soutien au M23 (documenté par l’ONU) | Environ 3 000 soldats rwandais soutiendraient les rebelles |
Burundi | Soutien à l’armée congolaise | Déploiement d’au moins 10 000 soldats |
Afrique du Sud | Dirige la mission de la SADC en RDC | Combat le M23 aux côtés des soldats malawites et tanzaniens |
Ouganda | Position ambiguë | Accusé par l’ONU de permettre l’utilisation de son territoire pour des attaques |
Angola/Kenya | Médiation | Dirigent deux processus de paix distincts |
Les guerres du Congo ont officiellement pris fin en 2003, mais la violence de faible intensité persiste, ce qui amène certains experts à affirmer qu’elles ne se sont jamais vraiment terminées. Plusieurs rapports, notamment de l’ONU, ont accusé le Rwanda et l’Ouganda d’avoir ciblé des civils hutus et d’avoir pillé et passé en contrebande le café, les diamants, le bois, le coltan et d’autres ressources de la RDC. Des proches du président ougandais Yoweri Museveni ont été nommés comme opérateurs d’entreprises impliquées dans le commerce d’articles illicites, en particulier pendant la seconde guerre.
Les ressources minérales : moteur du conflit
L’exploitation des ressources naturelles est devenue de plus en plus attrayante pour les belligérants, non seulement parce qu’elle leur permettait de financer leurs efforts de guerre, mais aussi parce que, pour un grand nombre de dirigeants politiques et militaires, elle constituait une source d’enrichissement personnel. Les ressources naturelles sont ainsi progressivement devenues un moteur du conflit.
La Cour internationale de Justice (CIJ) a reconnu Kampala coupable de « violation du droit international » en 2022 et a ordonné à l’Ouganda de verser 325 millions de dollars à la RDC pour les pertes et dommages subis pendant les guerres. Bien que la RDC ait également poursuivi le Rwanda, la CIJ n’a pas pu statuer dans cette affaire car le Rwanda ne reconnaissait pas sa compétence.
Dans la bataille juridique la plus récente en 2023, la RDC a de nouveau poursuivi le Rwanda devant la Cour de justice de l’Afrique de l’Est à Arusha, en Tanzanie, arguant qu’en soutenant les rebelles du M23, elle violait l’intégrité territoriale de Kinshasa en violation du droit international. Cette affaire est toujours en cours. Le Rwanda a régulièrement nié son soutien au M23.
L’histoire se répète avec de nouveaux acteurs
Les pays qui ont participé aux guerres du Congo sont à nouveau présents en RDC. Et encore une fois, un politicien congolais marche sur Kinshasa, cette fois Corneille Nangaa, leader de l’Alliance du fleuve Congo (AFC). Ancien commissaire aux élections, Nangaa s’est brouillé avec le président congolais Félix Tshisekedi, puis s’est allié au M23 en décembre 2023. Il dirige maintenant la coalition AFC-M23.
L’analyste Kambale Musuvali du Center for Congo Research, basé à Accra, a déclaré que l’ingérence des voisins les plus proches de la RDC n’a jamais cessé. « Quand nous disons que l’Ouganda et le Rwanda sont à nouveau au Congo, c’est du point de vue qu’ils sont partis et qu’ils reviennent », a déclaré Musavuli, qui est congolais. En réalité, les deux gouvernements ont continuellement maintenu leur emprise sur la situation en RDC, a-t-il affirmé.
- Le M23 a pris le contrôle de vastes étendues du Nord et du Sud-Kivu, qui abritent d’importants gisements d’or et de cobalt
- L’ONU estime que le M23 gagne environ 800 000 dollars par mois grâce à la vente illégale d’or
- L’avancée du M23 vers Walikale menace un important centre minier
- La RDC fournit 70% de l’approvisionnement mondial en coltan et en cobalt
- Les sanctions internationales contre le Rwanda n’ont pas eu l’effet dissuasif escompté
Les efforts de paix face à une crise humanitaire grandissante
Mettre fin à la crise prolongée impliquerait un effort à grande échelle des pays africains pour amener les deux parties à négocier, selon les analystes, mais aussi pour faire pression sur le gouvernement de la RDC lui-même afin qu’il règle ses affaires internes : le président Tshisekedi souffre d’une crise de légitimité alors que les Congolais ont massivement rejeté les élections qui l’ont conduit à un second mandat. Les faiblesses et la corruption enracinée dans l’armée du pays ont pu contribuer à l’effondrement des défenses congolaises face à l’avancée du M23. Les sentiments de marginalisation restent forts dans les communautés congolaises tutsies, aggravant les tensions.
Les récents appels de Kinshasa à un dialogue national, en plus des pourparlers de paix menés par des parties régionales, sont des étapes importantes, a déclaré Musavuli. Il en va de même pour la récente visite du procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, qui s’est engagé à poursuivre toutes les parties accusées de violations des droits dans le conflit, y compris les meurtres sans discrimination et les abus sexuels contre les civils, a-t-il ajouté.
« On me demande souvent : ‘Qu’en est-il du gouvernement rwandais ? Qu’en est-il du gouvernement ougandais ?’ Mais personne ne parle du peuple [congolais], » a déclaré Musavuli. « Nous disons que le peuple du Congo doit être vivant pour pouvoir reconstruire le pays au profit du continent africain. C’est pourquoi la RDC a besoin d’une pause. Pas seulement pour elle-même, mais pour l’ensemble du continent africain. »
L’Angola a récemment annoncé des négociations directes entre Kinshasa et les rebelles du M23, un développement qui pourrait potentiellement ouvrir la voie à une résolution pacifique. Cette initiative s’inscrit dans le cadre des efforts régionaux pour désamorcer les tensions et trouver une solution durable à ce conflit qui a déjà fait trop de victimes parmi la population civile congolaise.
Une communauté internationale divisée
Les pressions internationales sur le Rwanda, notamment la suspension de l’aide militaire par l’Union européenne et les sanctions américaines contre des responsables clés de l’armée rwandaise, n’ont pas eu l’effet dissuasif qu’elles avaient eu lors des crises précédentes. L’appétit pour les négociations politiques est faible, et les mesures coercitives internationales semblent avoir perdu de leur efficacité.
L’Ouganda apparaît comme la grande inconnue dans cette équation. Le pays a été impliqué l’année dernière par l’ONU pour avoir fourni un soutien au M23 en autorisant l’utilisation de son territoire pour lancer des attaques, et les zones actuellement occupées par l’armée ougandaise en RDC sont si proches des zones tenues par le M23 que les analystes pensent qu’il pourrait y avoir une certaine collusion. Mais Kampala nie tout lien avec le M23.
Des marques comme Apple, Samsung et Tesla dépendent fortement des minéraux extraits en RDC pour leurs produits électroniques. Le coltan et le cobalt, dont la RDC fournit 70% de l’approvisionnement mondial, sont essentiels pour la fabrication des smartphones, ordinateurs portables et véhicules électriques. Des entreprises minières comme Glencore et China Molybdenum ont d’importants intérêts dans la région, tandis que les fabricants d’armes tels que Kalashnikov voient leurs produits alimenter le conflit via divers canaux.
Les récents appels à un cessez-le-feu immédiat dans le conflit avec le M23 et ses alliés rwandais par des pays de la région montrent une volonté de trouver une solution diplomatique. Un sommet extraordinaire de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a été organisé spécifiquement pour aborder la crise en RDC, soulignant l’importance régionale de ce conflit et ses implications potentielles pour la stabilité de l’Afrique centrale et australe.
Selon un parlementaire congolais qui s’est exprimé sur la question, « la solution à ce conflit doit être à la fois politique et militaire. Il faut une approche coordonnée qui prenne en compte les préoccupations sécuritaires légitimes de tous les acteurs, tout en respectant la souveraineté de la RDC et le droit de son peuple à vivre en paix. » Cette analyse publiée sur Mediapart reflète la complexité de la situation et la nécessité d’une approche multidimensionnelle.
La population congolaise, première victime de ce conflit qui s’éternise, appelle à une pause, non seulement pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire, mais aussi pour donner une chance aux négociations de paix. Comme l’a souligné un analyste, « la RDC a besoin d’une pause non seulement pour elle-même, mais pour l’ensemble du continent africain, » rappelant ainsi les enjeux qui dépassent largement les frontières de ce vaste pays situé au cœur de l’Afrique.
Les habitants des zones touchées par le conflit tentent de maintenir une vie normale malgré les déplacements forcés et l’insécurité permanente. Les écoles restent fermées, l’accès aux soins de santé est limité, et l’approvisionnement en nourriture et en eau potable est souvent compromis. Les organisations humanitaires, bien que présentes sur le terrain, peinent à répondre à l’ampleur des besoins face à une situation qui continue de se détériorer dans l’est de la RDC.
Le peuple congolais, façonné par des décennies de sacrifices et de résilience face à l’adversité, mérite enfin de connaître la paix et la stabilité. C’est seulement dans ces conditions que ce pays aux ressources immenses pourra exploiter son potentiel pour le bien-être de sa population et contribuer pleinement au développement du continent africain.